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25-30 ans - Blog fictif - Roman en cours

25-30 ans - Blog fictif - Roman en cours
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13 janvier 2013

"Désormais je n'écrirai plus d'âneries" - Fedor Dostoïevski

Que ceux qui ont aimé le texte intégral en 2008 se rassurent : il n'est pas perdu.

 

 

 

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17 juillet 2006

Le chien

Au bout de sa laisse, un bâtard jaune et rouille crados la regardait méditer, ça faisait bien trois minutes. Elle est restée sur lui. Le chien la regardait en toussant. Le propriétaire de l’animal ne dépassait pas le mètre soixante quinze. Il était du type maghrébin mais pas agressif. Pas séduisant non plus, contrairement à certains vendeurs de shit, suivant les critères personnels d’Emilie. Un maghrébin positivement sans intérêt. Elle voulait bien croire qu’il habitait la commune, preuve que les immigrés de la troisième génération valaient quelque chose pris individuellement, mais du même coup ils se fondaient dans la masse des beaufs. C’est mon voisin et néanmoins camarade Fahid, ai-je coupé pour l’empêcher de dire des conneries. Enfin bref, a-t-elle continué, le petit beur restait en arrière et tirait fort sur la laisse. C’était con de sa part. Il n’avait aucune chance de faire avancer le chien par torsion ou compression de sa carotide. Le clebs allait reculer en déracinant la pelouse municipale oui, et mourir par strangulation. Elle a voulu punir le propriétaire par un regard de mépris – mépris intellectuel –mais son regard a ripé. Sur le regard du chien. Le chien s’étranglait, comptait mourir la gueule ouverte, mais certainement pas sans avoir mangé Emilie des yeux, par en dessous, d’un air maussade et vigilant. Dans ce regard de chien, aucune intention de nuire. De la détermination. De la prudence. Comme une fascination méticuleuse. Chargée d’un fluide. Il semblait pris d’une envie cuisante de coucher avec elle. Le chien. Tu as bien lu. Ca commence bien. Oui. Premièrement je cite Emilie Darrout dans le texte. Deuxièmement tu peux t’arrêter quand tu veux.

 

Et donc. A la base elle dégageait quelque chose. Elle le savait. Elle avait une aura que propagent beaucoup de mélancoliques. Surtout les maigres. Je l’ai toujours dit : je le répèterai tant que les compliments auront l’effet qu’ils ont sur son moral. La nouveauté étant que, maintenant qu’elle touchait le fond et se préparait (elle n’en finissait pas de se préparer, mais c’était le meilleur moyen d’arriver en bon état quelque part) à remonter à la surface, son charme neurasthénique opérait sur les animaux. C’était devenu un charme bestial. Un charme instinctif disons. Comme un retour brutal au corps et à l’essentiel, c’est-à-dire finalement au corps. Pour faire court elle avait l’impression de commencer à avoir du chien. Le mot était lâché,et sans patauger plus longtemps dans le délire zoophilique, si les animaux pressentent n’importe quel phénomène de grande envergure, que ce soit éruption, tremblement de terre ou largage de bombe, alors ce chien pressentait en la personne d’Emilie l’explosion d’une bombe sexuelle anorexique.

 

Elle a tourné son regard vers l’Arabe pour reprendre contact avec l’humanité, mais c’est alors que le chien, décidément plus captivant, a vomi. Le chien a vomi jaune, liquide et grumeleux, ajoutant à la mixture des tas de brins d’herbe vomitives. Exprès. Evidemment. Elle a fait demi-tour, sachant très bien qu’elle donnait l’impression de fuir. Elle aurait voulu SEfuir elle-même, ce qui est banal et rebattu, mais tellement vrai dans ce cas précis, et tellement sans issue dans tous les cas. Elle a trotté un peu, puis elle a fait demi-tour avant de changer de direction pour la troisième fois. Le Maghrébin la regardait d’un air faussement neutre, mais qui était ce jeune homme crépu pour porter des jugements, sans entrer dans les détails. Le chien pour sa part avait terminé de vomir, il n’était plus le même. Il tractait son maître en faisant l’animal etse comportait comme se comportent les chiens. D’elle, il n’avait jamais rien eu à battre. J’ai fait genre je pissais de rire.

 

10 juillet 2006

Dans ma banlieue fleurie

Emilie Darrout était chef d’agence dans une boîte d’intérim. Elle méditait du côté de chez moi au bord de la Seine. Quatre ans après la plus grande tempête jamais suivie par Météo France, le calme était revenu. Le rivage était reboisé, plein de saules pleureurs et de souches d’arbres devenues décoratives. C’était le printemps qui plus est dans l’une des plus gracieuses banlieues parisiennes, seize mille habitants dont moi, dont près de onze mille deux-cents électeurs, dont pas moi, votaient à droite. Emilie était châtain, pesait quarante-cinq kilos pour un mètre soixante-six et s’habillait en noir. Elle avait vingt-huit ans. Elle était en RTT. Elle se répétait une chose bien dans son style : que cet après-midi était magnifique à gémir, mais qu’elle était trop incohérente et trop nulle pour être à la hauteur. Etat d’âme classique, typiquement sentimental, c’est-à-dire propre aux caractères secondaires émotifs et non actifs. Proustien à mort. Elle croyait faire tache dans ce Pierre Bonnard (peintre français) fugace. La couleur des feuilles, la texture du gazon et de l’eau, le vert, tout ce vert pâle, clair et foncé, toutes ces petites fleurs blanches, toute cette nature tranchait évidemment avec le gris caca de sa déprime. Elle s’en voulait bien sûr. D’être elle. Syndrome bien connu d’un mal aussi rébarbatif que fréquent.

 

Elle habitait dans le dixième arrondissement de Paris, ce qui me faisait envie. On n’est jamais content. Elle caressait le rêve zarb de squatter chez moi pour chiper la beauté de ma banlieue et se l’encoller sur la tronche, après s’être au préalable réconciliée avec elle-même, ce qui était chose impossible. Se réconcilier avec elle-même n’était pas difficile à mon sens, mais de son point de vue la question n’était pas là. Peu importait. Elle avait trop de travail. Elle était trop malheureuse. Elle était trop dépendante, accrochée comme une tique à des machins futiles, trop cramponnée au système et trop lucide pour ne pas se détester en conséquence. Et trop c’était trop. Trop de connards à traîner derrière, trop de connasses à pousser devant, trop de débiles à côté, et trop de chiffres et de mots, de stéréotypes, trop de pollution, de violence et de publicité, trop d’images, de guerres, de morts, de naissances, de licenciements, trop de conflits, de possibilités gâchées, et d’espoir épuisant, voire tuant. Trop de choses à savoir. Trop de choses à oublier. Trop de retards. Trop d’amour.Trop de solitude. Sentiment trop ordinaire d’être de trop. Relou. Otez toute chose, que j’y voie, disait Blaise Pascal. Disait Paul Valéry, ai-je arrangé par-devers moi, mais j’ai préféré me taire pour que l’idée d’en faire autant ou de raccourcir son introduction lui traverse l’esprit. Ca n’a pas marché. Tout a été dit, a-t-elle continué, tu vois, mais on ne pourra jamais assez dire à quel pointc’est lassant.

 

Elle se sentait comme en état de péché devant la perfection quasi musicale de cette saison charnière tellement propice aux blocages anticycloniques. Il faisait si beau. Elle était si minable, bon c’est pas possible. Je vais résumer. Emilie ne s’arrêtait jamais. Ca gambergeait là-dedans. Je crois qu’en plus d’être banalement narcissique elle portait le fardeau de la post-modernité. Elle s’est attardée par malheur sur le fait qu’elle ne croyait pas en Dieu. Comme tous les babies cyniques de sa génération. Elle n’était donc pas en état de péché puisque dans son univers mental le péché n’existait pas. J’étais d’accord. En même temps elle savait à quel point cette affirmation était gratuite. Scepticisme habituel de la Bac plus quatre consciente du caractère parfaitement discutable de ses doutes. C’était la spirale ordinaire. Dont la pertinence restait à voir. Pouhoufffh ai-je prévenu. Pouce. Sauf qu’elle n’était plus en état de voir, a-t-elle repris, ce qui restait à voir. A part le chien, qu’elle vit de ses yeux. Ca a débuté comme ça. Exactement.

 

3 juillet 2006

Bienvenue à Futilityland

L’histoire commence à Futilityland, qui signifie pays de l’impuissance. Philippe Darrout a inventé ce mot mais moi, amplement plus balaise, j’ai inventé Philippe Darrout de la tête aux pieds. C’est un Parisien de cinquante-sept ans, né en quarante-six. Il ne sera jamais connu en dehors de son service – il est chef de service dans un hôpital de la région parisienne – et c’est une bonne chose. C’est un américanophile profond, souffrant pourtant d’une maladie intellectuelle qui l’empêche entre autres insuffisances de dépasser le programme de cinquième en anglais. Il ne porte pas de lunettes. Il est massif et mou. Ses bourrelets sont distribués de manière à lui faire une silhouette carrée, ce qui l’encourage paradoxalement à faire le beau dans les couloirs de l’hôpital. Il fait un mètre quatre vingt et son crane frisé se dégarnit par le bas. Je ne l’aime pas. Personne ne l’aime. Personne n’aime personne mais en l’occurrence, la vache. Dans le meilleur des cas, on a besoin de lui. Mais on ne l’aime pas. Or bien que la nuance soit claire, c’est exactement le type de nuance qu’il zappe avec entrain.

 



Sur son lit de mort il se posera la question. Il se demandera si quelqu’un fut heureux, vraiment heureux de subir sa présence, de le voir polluer la biomasse par le seul fait d’ouvrir la bouche, de convoiter des trucs et de confisquer ces trucs sans questionner le bien fondé de sa goinfrerie, de toujours associer jouissance et destruction, d’ajouter sa laideur quotidienne à la laideur du monde. Mais au lieu de se remettre en question, Philippe Darrout a inventé le mot Futilityland pour désigner l’esprit de sa fille, d’où ce blog. Sa fille aînée s’appelle Emilie. C’est un personnage merveilleux, une espèce d’ange dont le cœur est aussi gros, l’intelligence aussi vaste et la sensibilité aussi profonde que la connerie de son père. L’histoire que tu vas lire commence et finit dans sa tête. Dans la tête d’Emilie.

 

26 juin 2006

Prêt à fuser...

Cette histoire est vraie. Aussi vraie que les gens dedans. Je ne plaisante pas. Je parlerai forcément de personnages vus par toi et moi dans tous les médias, et par moi en exclusivité dans ma vie quotidienne. Ils existent. J’en ai rencontré sur Internet. J’ai pris un café avec certains, couché avec d’autres, avec ou sans suite, mais jamais sans amour, c’est dire qu’ils existent. Par la force des choses ils seront dans ce blog. Il se trouve aussi que je croise trois personnes au réveil. Tous les matins. Ils sont de ma famille. Nous vivons ensemble. Et ma liberté de penser, le courage de vivre envers et contre tout, mes trois repas par jour, ma carte orange, la chambre de perpétuelle étudiante où je me verrouille gratuitement des semaines entières sans que l’utilité de prendre l’air ne pénètre mon entendement, et l’eau chaude, et le dentifrice familial, le savon familial, le lait corporel hydratant, indispensable, et la connexion sans limite à Internet où je m’évade, d’où j’aimerais m’évader – je suis cyberdépendante –je leur dois tout ça. Ils seront dans mon blog. Je ne les manquerai pas, mais il y a des limites à la sincérité. Je veux dire que, même si j’ai tout sacrifié pour écrire correctement, c’est-à-dire pour vider tout mon sac, je ne suis pas encore assez intrépide pour offenser ceux-là même qui m’aident à transformer ce suicide social en investissement.

 

Ce qui n’empêche rien. Tu vas lire la première histoire vraie que j’aie jamais racontée. Tu vas t’y laisser prendre en principe sans dégâts, comme je me suis laissé aspirer, de l’intérieur. Simplement sache que par respect pour la vie privée des gens réels, et pour t’épargner toi, et pour me protéger (je balaierai ces scrupules à la noix dans mon prochain roman) je changerai les noms. Je permuterai les sexes aussi, mais pas de façon systématique, pour que mon lecteur s’y perde en beauté et que ni toi ni personne de ta génération, ni de ma génération, ni personne en résumé, ne se sente mal. Visé. Attaqué. Je n’attaquerai jamais la première. Je ne ferai pas de recherches, ni de plan. Je ne construirai pas d’intrigue, si tu vois ce que je veux dire. Cette fois tout est là dans ma mémoire, prêt à fuser.

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