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25-30 ans - Blog fictif - Roman en cours
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10 juillet 2006

Dans ma banlieue fleurie

Emilie Darrout était chef d’agence dans une boîte d’intérim. Elle méditait du côté de chez moi au bord de la Seine. Quatre ans après la plus grande tempête jamais suivie par Météo France, le calme était revenu. Le rivage était reboisé, plein de saules pleureurs et de souches d’arbres devenues décoratives. C’était le printemps qui plus est dans l’une des plus gracieuses banlieues parisiennes, seize mille habitants dont moi, dont près de onze mille deux-cents électeurs, dont pas moi, votaient à droite. Emilie était châtain, pesait quarante-cinq kilos pour un mètre soixante-six et s’habillait en noir. Elle avait vingt-huit ans. Elle était en RTT. Elle se répétait une chose bien dans son style : que cet après-midi était magnifique à gémir, mais qu’elle était trop incohérente et trop nulle pour être à la hauteur. Etat d’âme classique, typiquement sentimental, c’est-à-dire propre aux caractères secondaires émotifs et non actifs. Proustien à mort. Elle croyait faire tache dans ce Pierre Bonnard (peintre français) fugace. La couleur des feuilles, la texture du gazon et de l’eau, le vert, tout ce vert pâle, clair et foncé, toutes ces petites fleurs blanches, toute cette nature tranchait évidemment avec le gris caca de sa déprime. Elle s’en voulait bien sûr. D’être elle. Syndrome bien connu d’un mal aussi rébarbatif que fréquent.

 

Elle habitait dans le dixième arrondissement de Paris, ce qui me faisait envie. On n’est jamais content. Elle caressait le rêve zarb de squatter chez moi pour chiper la beauté de ma banlieue et se l’encoller sur la tronche, après s’être au préalable réconciliée avec elle-même, ce qui était chose impossible. Se réconcilier avec elle-même n’était pas difficile à mon sens, mais de son point de vue la question n’était pas là. Peu importait. Elle avait trop de travail. Elle était trop malheureuse. Elle était trop dépendante, accrochée comme une tique à des machins futiles, trop cramponnée au système et trop lucide pour ne pas se détester en conséquence. Et trop c’était trop. Trop de connards à traîner derrière, trop de connasses à pousser devant, trop de débiles à côté, et trop de chiffres et de mots, de stéréotypes, trop de pollution, de violence et de publicité, trop d’images, de guerres, de morts, de naissances, de licenciements, trop de conflits, de possibilités gâchées, et d’espoir épuisant, voire tuant. Trop de choses à savoir. Trop de choses à oublier. Trop de retards. Trop d’amour.Trop de solitude. Sentiment trop ordinaire d’être de trop. Relou. Otez toute chose, que j’y voie, disait Blaise Pascal. Disait Paul Valéry, ai-je arrangé par-devers moi, mais j’ai préféré me taire pour que l’idée d’en faire autant ou de raccourcir son introduction lui traverse l’esprit. Ca n’a pas marché. Tout a été dit, a-t-elle continué, tu vois, mais on ne pourra jamais assez dire à quel pointc’est lassant.

 

Elle se sentait comme en état de péché devant la perfection quasi musicale de cette saison charnière tellement propice aux blocages anticycloniques. Il faisait si beau. Elle était si minable, bon c’est pas possible. Je vais résumer. Emilie ne s’arrêtait jamais. Ca gambergeait là-dedans. Je crois qu’en plus d’être banalement narcissique elle portait le fardeau de la post-modernité. Elle s’est attardée par malheur sur le fait qu’elle ne croyait pas en Dieu. Comme tous les babies cyniques de sa génération. Elle n’était donc pas en état de péché puisque dans son univers mental le péché n’existait pas. J’étais d’accord. En même temps elle savait à quel point cette affirmation était gratuite. Scepticisme habituel de la Bac plus quatre consciente du caractère parfaitement discutable de ses doutes. C’était la spirale ordinaire. Dont la pertinence restait à voir. Pouhoufffh ai-je prévenu. Pouce. Sauf qu’elle n’était plus en état de voir, a-t-elle repris, ce qui restait à voir. A part le chien, qu’elle vit de ses yeux. Ca a débuté comme ça. Exactement.

 

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